Portrait d'un pêcheur Zanzibari
Mcha Simai est issu d’une famille de pêcheurs traditionnels. Il a commencé très tôt à s’initier aux métiers de la mer. Dès son jeune âge, il allait régulièrement à la plage accueillir les bateaux à leur retour de la pêche. Il aidait son père et ses deux oncles paternels à débarquer le matériel et à transporter le poisson destiné à la vente ou à la consommation familiale. Tous travaillaient alors, en famille, dans une pirogue à la balancier, ngalawa, construite par un artisan du village voisin.
 
Après avoir terminé ses études coraniques, kuhitimu, Mcha Simai s’est dirigé vers le métier de ses pères. Au début, il ne s’aventurait pas très loin en mer et ne partait qu’avec son père et ses deux oncles paternels. Il se contentait de les accompagner lorsque ceux-ci partaient pour la petite pêche. Mais avec le temps, il a pris goût au métier et s’est habitué à résister aux difficultés de la mer. Il s’est initié aux techniques de navigation et à celles de la pêche. Cet apprentissage était encouragé par son père, qui lui confiait de temps en temps la responsabilité de la conduite de la pirogue.
 
A présent, il sait naviguer en se dirigeant d’après les constellations, il sait « lire » la mer et repérer les zones poissonneuses, il connaît également les différentes méthodes de capture du poisson. Il est capable de passer plusieurs nuits en mer lorsqu’il part au large avec les autres pêcheurs sur un lieu poissonneux, que l’on appelle dago.
Pendant les saisons où la mer est agitée et dangereuse, Mcha Simai s’emploie avec son père et ses oncles à réparer leur matériel de pêche (pirogue, filets, lignes, nasses……). Pendant cette trêve, les hommes aident les femmes dans l’exploitation des parcelles agricoles familiales1. En outre, Mcha Simai participe à la collecte de l’eau au puits du village ainsi qu’au ramassage du bois pour la cuisine. Les enfants se doivent d’aider à toutes ces tâches domestiques généralement considérées comme féminines tandis que la pêche est exclusivement une occupation masculine. Alors que les hommes sont très souvent absents du village, les femmes, elles, y restent en permanence. En tant que gardiennes du foyer, elles sont garantes de la continuité de la vie sociale et ce sont surtout elles qui assurent l’éducation des enfants.
C’est à travers les contes que sa mère avait l’habitude de lui raconter le soir avant de dormir que Mcha Simai a appris les histoires liées à la mer. Il se méfie des vibwengo et des chunusi ; esprits marins qui mettent en danger le pêcheur. Sa mère avait éveillé la conscience des dangers du métier. Et lorsqu’il fut un peu plus grand, il a fréquenté les baraza (assemblée) et a écouté avec attention les pêcheurs parler de leurs expériences, de la précarité de leur métier et de leurs croyances dans les esprits de l’océan. C’est là qu’il a entendu pour la première fois parler des sirènes (nguva) qui sont si belles et si séduisantes qu’il est difficile de ne pas être attiré par elles. Capturées, elles font tout leur possible pour implorer la pitié et être remises à la mer. Lorsqu’ils ne les relâchent pas, les pêcheurs arrivés au port doivent jurer, kuapa, qu’ils n’ont pas abusé d’elles avant de pouvoir les vendre. En fréquentant les baraza, Mcha Simai est passé maître dans l’art du verbe, il parsème ses propos de proverbes, et en référence à son art de discours, ses camarades l’ont surnommé Ba Mcha.
Maintenant qu’il est adulte, Ba Mcha, en tant que fils aîné, a de grandes responsabilités. Il est devenu chef de la famille à la mort de son père. Il est musulman et pieux et ne manque aucune des cinq prières quotidiennes lorsqu’il n’est pas en mer. Il est un des Imâms de la mosqué de son quartier et il dirige souvent la prière du matin, al-fadjr. Il consacre une partie importante de son temps aux activités religieuses. Lorsqu’il est au village, il étudie les diverses disciplines religieuses dispensées à la mosquée, comme les règles du mariage ou le droit de l’héritage. Il est d’ailleurs un membre actif de la confrérie la Qadiriyya et il participe aux cérémonies d’invocations divines, les dhikr.
Sa foi religieuse ne l’empêche pas d’être superstitieux et de croire dans l’efficacité de pratiques non musulmanes pour s’assurer la protection des esprits terrestres et marins. Il doit invoquer les premiers pour s’assurer la fertilité de ses terres et se doit d’apaiser les seconds pour être protégé en mer et obtenir des prises abondantes. Ba Mcha vit en symbiose avec son environnement naturel. Il est en harmonie aussi bien avec le monde des morts qu’avec celui des vivants.
Pour Ba Mcha, toutes ces croyances font partie des moyens de survie que lui ont légués ses ancêtres. Quand il était enfant, il portait un talisman autour de la taille. Aujourd’hui, il le porte autour de son bras droit. Il consulte souvent le devin-guérisseur, le mganga, pour qu’il lui prédise l’avenir – kupiga ramli – mais aussi pour éviter les mauvais esprits et les malheurs. A chaque nouvelle saison de pêche, comme le font tous les pêcheurs avant de partir en mer ou pour bénir un nouveau bateau, Ba Mcha fait un sacrifice pour vénérer les esprits de la mer.
Pour accomplir la sunna – la tradition du Prophète Muhammad – Ba Mcha s’est marié à l’âge de 25 ans. Il a aujourd’hui un enfant de cinq ans qui l’accompagne au marché au poisson. Les réalités du moment, sont hélas, bien dures : les prix du poisson fluctuent au gré de la loi du marché et par manque d’infrastructures, le poisson frais ne peut être conservé longtemps ; ce qui oblige quelquefois le pêcheur à distribuer gracieusement le surplus de sa pêche. Songeur, Ba Mcha regarde son fils et se demande si ce dernier pourra prendre la relève, s’il pourra lui aussi pêcher dans les zones où lui-même pêchait avec son père. Sa vie sera-t-elle la même ou plus difficile encore ? Ne souhaitera-t-il pas, ou sera-t-il contraint, d’abandonner la pêche pour cultiver des algues ou travailler dans des hôtels comme le font la plupart des enfants du village ? Peut être cherchera-t-il à quitter le village pour la ville, ou même pour partir ailleurs, à l’étranger, dans l’espoir d’un travail mieux payé ? Ba Mcha s’inquiète du futur de son fils, mais après tout, il est croyant, et il est inutile de se poser trop de questions au risque de blasphémer. Fataliste, il pense que chacun a son destin écrit, kila mtu ana riziki yake
 
Mohamed Ahmed Saleh
Sous la Direction de Colette Le Cour Grandmaison et Ariel Crozon, Zanzibar aujourd’hui, Karthala-IFRA, Paris, Nairobi, 1998
 
 

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