Il était sans doute le dernier homme vivant de l’île hippocampe à être parti au front pour la France durant la Seconde Guerre mondiale. Boinali Souprit, disparu en 2012, a eu le temps de raconter son histoire à certains confrères.
L’engagement dans les FFL
Pour faire face au terrible voisin-ennemi allemand, lequel en un temps record a réorganisé une armée qui inquiétait le monde, la France eut recours encore une fois à la « force noire ». Elle enrôle de gré ou de force des hommes dans ses colonies. Tout homme en âge de combattre est sollicité. Pour y échapper, certains allaient se réfugier dans des grottes loin des villes et des villages. Ce n’est pas le cas de Boinali. Lui, n’a que 21 ans lorsqu’ un beau jour de 1939, des officiers pénètrent dans son village à la recherche d’hommes aptes au combat. Il se voit alors enrôlé et envoyé à la base militaire de Diego à Madagascar pour un entraînement intensif afin d’apprendre le maniement des armes. Il y retrouve dans sa compagnie d’autres compatriotes des autres îles de l’archipel avec lesquels il sera envoyé à Djibouti qui deviendra leur QG.
Le 17 juin 1940, le maréchal demande aux Allemands l’Armistice qui sera signé le 22 du même mois. Au lendemain de cette demande, le général de Gaulle lance son désormais célèbre appel : «Cette Guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y ait dans l’univers, tous les moyens pour écraser un jour nos ennemis ». Cela remotive ceux qui croient encore à un retournement de situation, ceux qui sont dans les colonies et qui forment désormais les Forces Françaises Libres (FFL). Dans ces FFL, se trouve notre natif de Tsingoni, Boinali Souprit.
« Nous n’avions pas peur, parce qu’avant même d’aller nous battre le général de Gaulle nous avait dit que même si la France est occupée, c’était une grande nation, et que nous n’avions pas à nous inquiéter parce que la victoire serait à nous. Il a su nous rassurer et nous redonner courage. » confie-t-il à Halda Toihiridini pour Mayotte Hebdo
Dans l’enfer de la bataille d’El Alamein
C’est le jour où le Maréchal signait l’Armistice avec le Führer que Boinali fait son premier baptême de feu, au sens propre. En effet, le QG de Djibouti où est basée sa compagnie composée essentiellement de Comoriens et de Malgaches, est pilonnée par les avions italiens.Après les bombardements, Boinali et sa compagnie auront affaire aux soldats italiens au sol.
C’est à Addis-Abeba, où les combats font rage entre l’armée coloniale italienne et l’armée britannique épaulée par les soldats venus de tout leur empire colonial africain. Les Forces Françaises Libres et les Belges vont prêter main- forte à leur tour aux Anglais dans cette guerre du désert. Boinali et sa compagnie sont de la partie. Moqué au départ pour sa petite taille, notre héros va gagner le respect de ses pairs par sa bravoure et sa sociabilité. Plus tard, il dira même s’être fait de nombreux amis.
En plus de la bravoure, il fallait surtout avoir un moral d’acier. Boinali Souprit l’avait. Il se disait qu’il y allait pour mourir alors il ne craignait rien comme s’il était déjà mort, confia-t-il.
En face, les 40.000 soldats menés par le général Feldmarschall Erwin Rommel chargeaient avec une rare violence. Les Alliés sont beaucoup moins nombreux, mais résistent, on déplore de nombreux morts et blessés. Boinali, chef de pièce, tirant au mortier, fera partie des blessés. Mis hors combat par une balle à la jambe, il est évacué à l’arrière et remis sur pied en une semaine, on le renvoie alors au front. Il s’estime chanceux, car il a vu certains de ses compagnons les tripes à l’air ou démembrés comme des puzzles à la bataille d’El Alamein.
La guerre terminée, Souprit comme les autres combattants africains, sera ignoré par l’État pour lequel il s’est battu. Il aura attendu de longues années pour être reconnu et pouvoir bénéficier d’une modeste retraite de 450€ lui permettant, comme il disait de « vivre correctement ». Le brave homme s’éteint en 2012, à l’âge de 94 ans dans le village de Tsingoni où il a vu le jour.
KARI KWELI
Extrait du Magazine Wakati N°4